mardi 30 octobre 2012

Le devenir contemporain du confucianisme

Texte de Thierry Leger-Parizeault

Sébastien Billioud et Joël Thoraval, « Le devenir contemporain du confucianisme : Anshen liming ou la dimension religieuse du confucianisme », Perspectives chinoises, n°2008/3, pp. 96-116.

M. Billioud possède une maîtrise ainsi qu’un doctorat en étude chinoise? en plus d’être maître de conférence ainsi que professeur associé en civilisation chinoise à l’université Paris-Diderot, il est chercheur associé au centre français de recherche sur la Chine contemporaine à Hong Kong. Entre 2006 et 2010, il fut éditeur en chef de la revue perspectives chinoises. Ces projets de recherches récents portent notamment sur la dimension religieuse, mais aussi intellectuelle du confucianisme dans la société chinoise moderne. M. Thoroval est chercheur ainsi que maître de conférences au Centre d'Études sur la Chine moderne et contemporaine de l’EHESS (École des Hautes Études en Sciences Sociales). En octobre 2002, il a est nommé président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Il étudie principalement les dynamiques identitaires sur le territoire chinois, mais s’intéresse aussi au confucianisme dans le cadre de la création d'une « philosophie chinoise » contemporaine.


Le confucianisme a été un des éléments structurants de la société chinoise les plus importants tout au long de son histoire. Au cours d’un 20e siècle riche en bouleversements qui ont sans contredit changé le visage de la Chine, l’enseignement confucéen a perdu de son importance pour « laisser la place » à la modernisation du pays à travers le savoir et les technologies de l’Occident. Cependant, depuis la fin de l’ère maoïste, on voit un regain d’intérêt pour le confucianisme. Ce renouveau confucéen se présente sous différentes formes, notamment dans un cadre qui serait plus religieux. Dans cet article, Billioud et Thoraval mettent en relief trois tentatives faites pour parvenir à cette transformation du confucianisme afin qu’il devienne une « religion particulière », une « religion civile » ou bien une « religion d’État ». Il faut toutefois prendre garde à l’usage du mot « religion » dans la conception occidentale que nous en avons, car cela révèle son caractère problématique lorsqu’on essaie de l’appliquer à la société chinoise. Pour bien en comprendre le sens, il faut analyser en profondeur les différents discours et pratiques qui nous sont présentés et percevoir les nombreuses significations qu’ils peuvent avoir, la réponse reste toutefois incertaine et incomplète.

Les auteurs mettent en lumière les difficultés du confucianisme dans sa quête de catégorisation, mais aussi celle que l’on éprouve lorsqu’on essaie de l’appréhender dans une dimension particulière. Cette catégorisation est importante, car elle implique que la notion qu’on lui donne (science, philosophie, religion) définit la forme dans laquelle on doit la comprendre à travers les nouvelles formes qu’elle prend. La rencontre du confucianisme avec les religions occidentales le force à se transformer et se redéfinir. Après un bref historique depuis cette époque, depuis la querelle des rites et en parcourant le 20e siècle, l’accent est mis sur sa revitalisation après les années plus difficiles de l’ère maoïste où Confucius s’est vu attribuer un rôle différent de celui qu’il avait par le passé. Ce renouveau qui commence tranquillement dans les années 80 prend sa source au niveau populaire où l’on voit un retour aux anciennes pratiques et rituels traditionnels. Pour certains, l’enseignement est plutôt un message de sagesse et que c’est à travers celui-ci que l’on trouve le propre instrument de son développement. Pour d’autres, c’est dans un cadre religieux qu’il prend forme et la nature philosophique du confucianisme en devient une religieuse où des institutions plus définies voient le jour. Il y a certains penseurs qui cherchent à trouver une commune inspiration entre la science et l’enseignement confucéen de manière à ce qu’il remédie aux insuffisances du savoir occidental et qu’il réponde à des besoins concrets de l’humanité.

Bien que la dimension religieuse de ce renouveau confucéen ne peut pas être négligée, sa place reste néanmoins difficile à trouver sans une reconnaissance de l’État. Cela amène les gens à se poser plusieurs questions sur le statut que prendra celui-ci au sein de la société chinoise soit une religion particulière, d’État ou bien civile.

Pour qu’elle soit une religion comme les autres confessions religieuses présentes en Chine, le confucianisme doit premièrement se doter d’institutions. C’est avant tout à Hong Kong que c’est fait cette renaissance religieuse du confucianisme où on remarque que celui-ci est en mesure de prendre les autres religions comme modèle institutionnel (rôle en matière d’éducation, activités rituelles, responsabilité politique, etc.). Cependant, il est difficile de dire si l’expérience hongkongaise aurait le même succès en Chine continentale bien que sont influence soit non négligeable. La perspective d’un confucianisme d’État prend de plus en plus forme à partir des années 90. Ses partisans prennent conscience de la difficulté d’y parvenir sans disposer de lieux de cultes et de pratiques essentielles à sa promotion et diffusion au sein de la population. L’État doit jouer un rôle primordial dans cette transformation d’un confucianisme qui s’exerce du haut vers le bas afin qu’il prenne une forme plus concrète dans la vie quotidienne des gens. Ce « nationalisme culturel » doit donc mettre en valeur l’héritage chinois, agir comme agent de mobilisation de la société et recréer un cadre institutionnel dans lequel elle peut se retrouver et s’affirmer. Plus récemment, on envisage la possibilité d’une « religion civile » chinoise inspirée des expériences occidentales. Pour certains, cette voie est la seule renaissance possible du confucianisme. Ce renouveau s’inspire du modèle américain où l’Église à joué et continue à jouer un rôle important dans la construction du tissu social que l’on retrouve notamment à travers des symboles et croyances que partagent la population. Cette transformation n’est pas incompatible avec des concepts tels que la démocratie et la liberté puisque sa ligne d’action s’oriente vers la société. Cependant, quelques problèmes pointent à l’horizon dont celui que l’expérience américaine n’est qu’une manière parmi tant d’autres et qu’on ne peut pas le prendre comme modèle premier, surtout pour la société chinoise qui est différente à bien des égards.

L’institutionnalisation religieuse du confucianisme est donc encore bien loin d’avoir atteint son objectif et il est encore trop tôt pour dire vers quelle avenue et sous quel visage elle prendre une forme définitive. Il est intéressant de voir apparaître cette dimension religieuse du confucianisme sans toutefois exagérer l’importance et l’impact qu’elle peut avoir. Cette transformation amène de nouvelles perspectives et voies pour l’héritage culturel chinois et c’est possiblement à travers celles-ci que la société chinoise se redéfinira et renouera avec la tradition confucéenne. Bien qu’il existe encore plusieurs points d’interrogation sur son «application» réelle, cette nouvelle réflexion nous oblige à prendre en compte de nouveaux aspects du confucianisme et son articulation dans le développement de l’identité culturelle chinoise.

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