mardi 27 novembre 2012

« Is Google Making Us Stupid ? »

Texte de Deschenes Jeremie.
 
Nicholas Carr est un auteur spécialisé dans l’analyse des technologies et de leurs impacts sur la culture et l’économie. Titulaire d’une maîtrise en littérature anglaise et américaine à Harvard, son portfolio compte plusieurs titres adulés par la critique dont le plus récent : «The Shallows: What the Internet Is Doing to Our Brains », était en course pour le Pulitzer de 2011. Chroniqueur occasionnel pour plusieurs revues influentes (The Guardian, The Atlantic, The New York Times, Wall Street Journal...), Carr participe activement à la sphère électronique en prêtant sa plume à l'Encyclopédie en ligne Britannica et en rafraichîssant quotidiennement son blogue personnel : Rough Type. L’article étudié : « Is Google Making Us Stupid ? » à été rédigé en 2008 et a reçu un accueil triomphal sur la scène universitaire. Traduit en une multitude de langues il collecta une multitude de prix et honneurs sur son passage.

Cet essai ne porte par directement sur la Chine mais dresse plutôt un tableau des impacts, voire des dangers de l’omniprésence du web dans nos vies. Carr débute son article en décrivant une scène du film Stanley Kubrick’s 2001: A Space Odyssey où l’ordinateur omniscient agonise alors que le protagoniste déconnecte un à un ses circuits, une experience partagé par l’auteur qui attribue celle-ci à son ( à notre ) rapport de plus en plus fusionnel avec le web. Tout en applaudissant les innombrables avantages du web en ce qui a trait à la recherche, l’auteur annonce d’entrée de jeu que ces commodités ont un prix encore aujourd’hui bien difficile à définir. En s’appuyant sur les travaux de M. McLuhan sur les médias, Carr remet à l’ordre du jour la fameuse thèse voulant que le contenant joue un rôle plus décisif sur les hommes que le contenu.
Ainsi, McLuhan affirma que, tout en nourrissant l’esprit, le média transforme aussi son fonctionnement instinctif et cognitif. En dénotant le consensus autour de la constatation d’une diminution réelle des capacités de concentration, notamment au sein de la communauté scientifique universitaire, Carr effectue une corrélation directe entre le web et la diminution des facultés cognitives. Son diagnostic est le suivant : l’accumulation massive de stimulus divers fournis par internet sature l’esprit et mine de façon marquée notre capacité à absorber et synthétiser de longs textes. Notre esprit serait donc transformé en « simple décodeur » d’informations prémâchées, diminuant ainsi le rôle de l’interprétation et de la critique dans notre cheminement intellectuel. Bref, tout comme l’imprimerie ou la machine à écrire ont affecté nos capacités psychologiques et littéraires, l’internet, par son format condensé et multiple, semble modeler notre façon de penser et de réfléchir.

En prenant l’exemple de l’horloge mécanique, Carr démontre de façon étonnante le transfert   aux utilisateurs de certaines spécificités liées à une technologie. Par exemple, l’omniprésence du « facteur temps » dans la société aurait permis une dissociation de celui-ci en une réalité mathématique absolue dirigeant toutes formes d’actions et de pensées. Notre perception de la réalité en est donc affectée puisqu’elle ne gravite plus autour du monde sensible, mais plutôt autour du concept de « temps ». De plus, il semblerait que l’arrivée de technologies aussi englobantes que l’internet modifie la perception que nous portons sur notre psychique...Notons par exemple que l’analogie entre l’humain et l’horloge, largement exploitée dans la vie courante, est aujourd’hui substituée par un rapprochement entre notre cerveau et un ordinateur. Un cortex bien équilibré est donc aujourd’hui comparé à une carte mémoire recueillant une multitude d’informations et ayant la capacité d’y accéder de façon méthodique à chaque requête.

Le web possède la capacité de condenser toutes les formes de médias en une plate-forme composite annexant une myriade de sources diverses. Cette convergence hétéroclite encouragerait une diffusion de l’attention des utilisateurs et minerait leur capacité à focaliser sur un sujet restreint et complexe. Ainsi, la capacité de créer des analogies et des oppositions est affaiblie par le flux constant d’informations présentes sur la « toile ». Ces aptitudes étant la base de notre perception de l’univers, il semblerait que les internautes adoptent de plus en plus une conception du monde fournie par les médias, faisant ainsi de nous des techniciens plus que des théoriciens.

L’auteur présente la compagnie Google comme la personnification même de la tentative de rationalisation de l’esprit exprimée ci-haut. Fonctionnant selon les principes clés du taylorisme industriel, Google vise une productivité toujours accrue de son système et par le fait même, des êtres qui l’utilisent. La capacité à trouver rapidement les informations recherchées est perçue comme la matière première essentielle à toute forme de pensée. Selon l’auteur, il semblerait que les compagnies comme Google « taylorisent » nos esprits en leur attribuant des fonctions purement utilitaires et instrumentales. Cette perception de notre cerveau comme étant un type d’ordinateur « carburant à la raison », ampute celui-ci de la complexité visuelle et émotive qui définissait jusqu’alors une multitude de « grands penseurs ».

Le web qui à ses débuts était régulé par un type « d’état de nature » originel est aujourd’hui de plus en plus contrôlé et supervisé. La systématisation de tous les facteurs conditionnant les recherches sur un moteur de recherche octroie à Google le remarquable pouvoir de connaître les goûts et intérêts de tous les utilisateurs. Cette capacité ouvre bien sûr la porte à une multitude de dérives autoritaires liées au contrôle des masses, mais permet aussi aux compagnies de cibler leur clientèle de façon plus précise que jamais. La participation d’intérêts financiers à cette utopie est par ailleurs une des raisons justifiant l’incroyable masse de stimulus existant sur le web. En effet, plus on consomme d’informations et plus la quantité de renseignements fournis aux compagnies est considérable... La distraction de « la clientèle » d’internautes étant dans leurs intérêts, il ne semblerait pas que la plate-forme web évolue différemment au cours des prochaines années.

Bref, le contrôle toujours plus important des compagnies (pouvant aussi être appliqué à l’État) permet aux puissances régulatrices d’avoir un portrait plus fidèle que jamais de leur clientèle ( ou de leur population). La convergence des plates-formes d’informations permet à ces puissances de connaître, voire même diriger, les recherches des utilisateurs... L’énorme quantité de données transitant sur ce vecteur médiatique permet la création d’une illusion de « libre-pensée » qui peut ultimement constituer une entrave à la libre circulation de l’information. Ces renseignements, lorsqu’ils sont globalement acceptés comme véridiques, peuvent très bien constituer une nouvelle forme de propagande à grande échelle et ainsi devenir le nouveau pilier d’un pouvoir centralisé.

Aucun commentaire: