mardi 27 novembre 2012

« Internet, nouveau territoire de lutte pour les opposants politiques en exil »

Texte de Sumaya Flores-Bonin

EGRÉ, Pascale. « Internet, nouveau territoire de lutte pour les opposants politiques en    exil », Hommes et migrations, migrants.comno 1240, septembre-octobre 2002, p.53-61.

    Pascale Egré est reporter-journaliste pour le quotidien français Le Parisien. Elle s’intéresse surtout à la question de la migration ainsi que diverses questions de société. L’article suivant ne provient cependant pas du Parisien, mais plutôt de la revue Hommes et migration, publication qui se spécialise tout particulièrement sur les faits migratoires et leurs conséquences; l’article de Pascale Egré faisait partie d’un numéro sur la relation entre les migrants et Internet.

    L’auteure présente Internet comme un outil de dissidence qui, lorsqu’il commença à devenir un peu plus accessible à monsieur madame Tout-le-Monde, se révéla être une nouvelle méthode de diffuser des idées ou des messages qu’il était difficile de partager en temps normal dans des régions sous régime autoritariste et ce, à partir soit de l’intérieur du pays ou même de l’extérieur. On nous présente trois témoignages – une jeune Tunisienne, un Mauritanien ainsi qu’un Chinois – trois « cyber-militants » vivant maintenant en France qui partagent leur expérience de la découverte d’Internet et de son utilisation à des fins militantes. 


    ImenDerouiche, jeune Tunisienne, connut l’enfer de la torture et du viol avant d’être jetée en prison, condamnée à dix-sept mois de pénitencier pour ses activités au sein d’un syndicat étudiant. C’est en regardant un jeu télévisé en prison qu’elle constate l’importance d’Internet; à sa sortie, précipitée par des pressions internationales, elle commence à s’intéresser à l’outil qu’est Internet. Elle constate cependant à quel point le web est contrôlé par l’État. À l’aide de jeunes pirates informatiques, elle réussit néanmoins à partager son histoire et, après avoir rencontré des militants d’Amnistie internationale, réussira à obtenir des passeports pour elle et son conjoint, tout cela grâce aux pressions d’observateurs étrangers. Maintenant établis en France, Internet « est devenu leur moyen de combat »; ils continuent de militer contre la dictature.

    Abdel Nasser OuldYessa est un militant mauritanien. Malgré son abolition officielle en 1981, l’esclavage est encore pratiqué en Mauritanie et c’est entre autres pour cette cause que lutte Abdel Nasser OuldYessa. D’abord réfugié politique en France de 1987 à 1992, il retourne en Mauritanie pour continuer à lutter contre le gouvernement. Cinq ans plus tard, il retourne en France car il estime que son travail d’opposition sera plus efficace à distance qu’à partir de l’intérieur du pays. Après qu’un journaliste lui ait conseillé d’utiliser Internet comme outil d’opposition, Abdel Nasser OuldYessa entre en contact avec d’autres Mauritaniens exilés, ce qui a grandement facilité son exil. Il explique les différentes méthodes qu’il a utilisées pour contourner le contrôle de l’État mais rappelle que bien qu’Internet constitue un outil puissant d’opposition au régime, il ne faut pas nécessairement jeter aux oubliettes les anciennes méthodes et que militer sur le web ne peut remplacer la lutte sur le terrain.

    Cai Chongguo, dissident chinois, fut contraint de quitter la Chine après avoir participé aux événements de la place Tian’anmen en 1989. Une fois en France, il vit dans un isolement de par le fait qu’il ne parle pas encore français. Il continue à cultiver des idées dissidentes, quoique la distance rende toute action assez difficile à entreprendre. En 1996, il découvre Internet, qui « nourrit son identité de dissident ». En effet, il utilise le web pour se tenir au courant des actualités dans son pays, pour communiquer avec le mouvement syndical indépendant qu’il dirige, basé à Hong Kong (le China labor), et il réussit même à entrevoir des bribes d’opinions controversées publiées à partir de la Chine qui réussissent à contourner la censure pendant quelques heures, voire quelques jours avant d’être supprimées par les autorités. Contrairement à d’autres régimes autoritaires, la Chine est beaucoup plus ouverte à l’utilisation d’Internet car elle le voit comme un outil important de dynamisme économique. Toutefois, le gouvernement s’assure d’exercer un contrôle assez strict sur l’accès aux sites internet, bloquant plusieurs sites étrangers. Cai rappelle également qu’« Internet est en train de changer le monde, mais que le monde ne peut changer seulement par Internet. » En effet, Internet n’apparait pas encore aux exilés politiques comme étant un outil qui peut à lui seul changer les choses; si on prend l’exemple de la Chine, Internet est un outil qui est plus accessible aux populations urbaines qu’aux paysans et qui en soi décourage les actions concrètes. C’est pourquoi l’utilisation d’Internet comme outil de dissidence est en quelque sorte une lame à deux tranchants. 

    Cet article est très intéressant car il montre bien comment les dissidents l’utilisent pour partager leur opposition du régime, ce qui est justement ce que craignent les autorités chinoises. Il est important de rappeler que malgré le fait qu’Internet soit devenu un outil indispensable de la dissidence, il ne pourra jamais remplacer la lutte en personne et les actions concrètes.

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