lundi 26 novembre 2012

« Chine : Internet, levier de puissance nationale »


« Chine : Internet, levier de puissance nationale »

Texte de Grégoire Chevillat   

ArsèneSéverine, « Chine: Internet, levier de puissance nationale », Politique étrangère, 2012/2 Eté, p. 291-303. DOI: 10.3917/pe.122.0291


    Séverine Arsène est docteure en science politique à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris mais est actuellement en poste à l’université Georgetown de Washington DC. Son principal ouvrage – Internet et politique en Chine – a été publié en 2011.

Dans cet article, l’auteure nous présente la politique menée par le gouvernement chinois concernant Internet ainsi que les enjeux internes, mais surtout externes, qui l’entourent.

Depuis plus de 15 ans, le gouvernement chinois a réalisé des investissements colossaux – près de 5 milliards de yuans – dans le domaine des nouvelles technologies, et notamment d’Internet. Si tant d’attention est portée à ce secteur c’est parce qu’Internet constitue – selon le Parti –un formidable instrument de développement économique et d’expression de la puissance nationale. Son utilisation est donc fortement encouragée mais dans le respect de certaines limites : Internet ne serait plus bénéfique pour la puissance chinoise s’il est le moyen de remettre en cause la légitimité du gouvernement. Ainsi, la censure a été instaurée au nom de la sécurité et de la stabilité politique.

Le gouvernement chinois justifie cela par le concept de « souveraineté numérique » : chaque Etat a un droit de regard sur Internet et sur les activités numériques qui s’y déroulent. Mais cette vision va à l’encontre de la gouvernance d’Internet à l’échelle mondiale. En effet, contrairement aux autres domaines dépassant l’échelle nationale pour lesquels ils s’entendent de manière multilatérale, les Etats laissent la gestion mondiale de la question d’Internet à un ensemble d’agences indépendantes qui représentent non seulement les Etats mais aussi la société civile mondiale et le secteur privé. Ce mode de gouvernance est appelé « multi-stakeholder » et assure la « représentation des parties prenantes ». Ainsi, toutes les normes et les standards – notamment les noms de domaine – d’Internet sont définis par ces agences et échappent au contrôle des Etats, ce qui met à mal la conception chinoise de « souveraineté numérique ».


Or, ces standards et normes apparaissent extrêmement importants. L’attribution des noms de domaine par exemple sont décisifs tant politiquement qu’économiquement. En effet, un nom de domaine en .cn est géré par un bureau d’enregistrement chinois, ce qui implique que le site correspondant à ce nom de domaine sera soumis à la régulation du gouvernement chinois. D’autre part, il est possible de créer des noms de domaines avec le nom d’entreprises - .vuitton par exemple – ce qui s’avère très bénéfique économiquement pour ces firmes. Nous percevons donc bien l’importance de détenir le pouvoir d’attribution de ces noms de domaines, qui sont un exemple parmi d’autres des enjeux que présente la gouvernance d’Internet au niveau mondial. Mais présentement ce sont des agences indépendantes – comme nous l’avons mentionné plus haut -  qui possèdent ces prérogatives.

La Chine plaide donc depuis un grand nombre d’années pour l’instauration d’un système décisionnel plus intergouvernemental en matière d’Internet, placé sous l’égide de l’ONU. Cela permettrait au gouvernement chinois d’être souverain numériquement et donc de pouvoir mieux contrôler la pratique de la censure, et donc d’éviter toute critique ou remise en cause politique venant d’Internet ; et d’œuvrer pour les intérêts commerciaux des entreprises chinoises.


L’article de Séverine Arsène bien qu’un peu technique – notamment en terme de vocabulaire informatique – est très intéressant pour notre cours car il permet de cerner la grande importance des enjeux qui entourent la gouvernance d’Internet pour le gouvernement chinois. En effet, pour pouvoir réellement censurer et contrôler les activités numériques, le Parti a besoin d’obtenir une « souveraineté numérique » dont il peine à jouir à cause du système international de gouvernance qui prévaut aujourd’hui. Cependant, un grand nombre de pays – comme la France ou la Suède – ont eux aussi la volonté de mettre en place une sorte de censure – pour filtrer les contenus terroristes, pédopornographiques par exemple – et pourraient donc abonder dans le sens de la Chine. De plus, la Chine pourrait aussi recevoir le soutien d’autres pays émergents – comme le Brésil et l’Inde – qui voient dans le système de gouvernance actuel un instrument pour protéger les intérêts des pays du Nord.

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