lundi 5 décembre 2011

Engagement citoyen et gouvernance locale en Chine


Texte de Samuel Philippe-Blanchette


Wu Guoguang, « Engagement citoyen et gouvernance locale en Chine », Perspectives chinoises, no. 1, 2008, p. 72-80.


Wu Guoguang est un éminent chercheur chinois qui étudia tout au long de sa carrière les problématiques et les enjeux politiques et sociaux de la Chine moderne. Ayant effectué plusieurs études, il possède une maîtrise en journalisme de l’Université de Beijing, une maîtrise en droit de l’Académie chinoise en sciences sociales et une maîtrise et un doctorat en sciences politiques de l’Université Princeton. Il est aujourd’hui professeur et titulaire de la Chaire sur la Chine et les relations Asie Pacifique à l’Université de Victoria, au Canada. Dans l’article étudié, Wu Guoguang met en relief les interactions entre les citoyens chinois – qui tentent par diverses actions de participer à la vie politique – les gouvernements locaux et l’État central. Il tente d’analyser dans quelle mesure les citoyens de la Chine moderne peuvent effectivement défendre leurs droits par des actions collectives et ultimement pose les limites de l’engagement citoyen vis-à-vis le contrôle persistant d’un État autoritaire.



Afin de lancer son article, l’auteur présente deux exemples de protestations collectives, à Taishi et à Dongzhou, qui ont eu lieu en 2005 dans la région du Guandong. Dans les deux cas, des citoyens ont manifesté de manière pacifique et légale devant des incongruités concernant la politique locale. Dans les deux cas, les gouvernements locaux ont réagi par une répression violente sur les manifestants. Les deux exemples qu’utilise l’auteur ne sont pas des cas isolés dans la Chine d’aujourd’hui. Selon les statistiques officielles, le nombre de manifestations de ce type est passé de 10 000 en 1994 à 87 000 en 2005, soit en moyenne 240 manifestations par jour, impliquant environ 5 millions de personnes (p. 73). Dans la grande majorité des cas, ces manifestations se soldent par des échecs, subissant une sévère répression de la part des autorités. Pourtant, souligne Wu, le gouvernement chinois, depuis quelques années, prétend laisser plus de liberté d’action aux citoyens et faire de véritables efforts en matière de « bonne gouvernance » dans le cadre de l’édification de la « société harmonieuse ». Or, à la lumière de ce qui se passe en Chine, il est à se demander de quels moyens disposent réellement les citoyens afin de défendre leurs droits et influencer les politiques du gouvernement.
Pour l’auteur, le premier obstacle majeur à l’engagement citoyen se situe au niveau des gouvernements locaux, qui possèdent plusieurs raisons de se montrer aussi intransigeants. Dans le contexte chinois, qui valorise le développement économique à tout prix, les autorités locales, souvent sous les pressions provenant de l’État central, doivent avant tout faire le maximum afin de stimuler le développement économique de leur région et cela même si cela exige une réprobation brutale des revendications sociales des citoyens. Dans plusieurs cas, comme ceux de Taishi et Dongzhou, les autorités justifient leurs actions violentes en indiquant que les manifestations citoyennes risquent d’effrayer les investisseurs étrangers. De plus, pour l’État central, la condition première du développement économique est une stabilité sociale exemplaire. Pour lui, la présence de conflits sociaux risque de remettre en question la légitimité du gouvernement, chose qu’il veut évidemment éviter. Ainsi, quand des conflits surviennent, le gouvernement central tend à les politiser, ignorant les revendications et imputant la faute sur ces soi-disant ennemis de l’État. Fort souvent, l’État central en vient donc à récompenser les autorités locales en regard de leur répression plutôt qu’à les réprimander. 


Pour Wu Guoguang, s’il est vrai que la Chine moderne a fait quelques progrès en matière juridique concernant les droits des citoyens, il demeure toutefois que les facteurs politiques dictent encore fortement les actions de l’État chinois, qui reste encore de nos jours fondamentalement autoritaire. L’intérêt principal de l’article réside dans cette reconnaissance de cette réalité bien présente en Chine. Dans les deux cas étudiés, qui peuvent facilement représenter l’ensemble des revendications de l’engagement citoyen chinois, les manifestants ne remettent pas en cause la légitimité de l’État mais cherchent surtout à coopérer, à collaborer et à dialoguer afin d’améliorer la vie sociale. Or,  leurs actions, fondées souvent sur cette volonté de réformer positivement la gouvernance, sont majoritairement interprétées par l’État comme criminelles plutôt que constructives, associées à des complots politiques dangereux pour l’harmonie sociale. Essentiellement donc, Wu Guoguang désire démontrer que si le gouvernement chinois laisse entendre qu’il met de l’avant l’édification d’une « société plus harmonieuse », cela ne produira pas d’effets réels aussi longtemps que les libertés que l’on accorde aux citoyens sont arbitrairement réprimandés ensuite.






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