mardi 6 décembre 2011

Le quartier, lieu de réinvention des relations État-société en Chine urbaine


Texte de Anne Bernard


Audin, Judith. « Le quartier, lieu de réinvention des relations État-société en Chine urbaine : l'exemple des comités de résidents à Pékin », Presse de Sciences Po, Raisons politiques, 2008, n° 29, pages 107-117.


L’auteure, Judith Audin, en plus de préparer une thèse en science politique qui porte sur les modalités d’organisations de la vie sociale dans les quartiers chinois à travers l’étude d’organismes de gestion locale, est titulaire d’une maîtrise de recherche de l’Institut d’Études Politiques de Paris et d’une licence de chinois. Elle aborde donc son article comme une entrée en matière pour mettre les bases de sa future thèse. Audin observe principalement la transformation de ces organisations résidentes qui n’ont pas été éliminées avec les réformes des années 1990 et qui changent de forme après le déclin du système de l’unité de travail (danwei) au cours de ces mêmes années. Ce précédent système d’unité de travail mis de l’avant par Mao compartimentait grandement la vie sociale et économique des Chinois autour d’une réalité où la vie quotidienne et le travail ne cessaient de s’entrecroiser puisque la mobilité était pratiquement interdite, résultat de l’imposition du système contraignant des hukou. L’auteure se base essentiellement sur une vaste étude effectuée par l’entremise de l’observation participante sur le terrain et d’après une enquête menée auprès des habitants et des employés des comités de résidents pour comprendre les relations État-société qui existent dans les quartiers de Pékin. 



Par la déconnexion du lieu de travail et de résidence après ces réformes gouvernementales, les comités de résidents, comme celui de Pékin, se développent et gagnent en importance à travers l’évolution de la « communauté de quartier ». Cette organisation œuvre comme une passerelle entre l’État et la société, et nous permet aujourd’hui, par l’observation de son fonctionnement, de nous renseigner sur la manière dont se définit actuellement la notion d’ordre public et social de la nouvelle Chine urbaine en pleine expansion accélérée après les Jeux olympiques de 2008. Le quartier se veut donc un lieu de redéfinition des relations État-société à une échelle moindre, puisque le rôle politique et social joué par cette institution tient à son implication dans l’encadrement de la vie de quartier, aux services rendus à la population et à une action sociale adaptée aux besoins de la communauté. Ces comités de résidents œuvrent à titre de relais des politiques gouvernementales et des programmes d’aide sociale, ce qui en résulte par une plus grande spécialisation des tâches qui ne sont plus seulement limitées à la médiation des conflits de voisinage ou à la surveillance. Cependant, la collecte d’information et l’observation de l’action quotidienne de la population restent au cœur de son mandat afin d’assurer un maintien de l’ordre public de concert avec la police locale. 


Cet article est pertinent dans le cadre de notre cours puisqu’il met en lumière les tensions et les modes de contrôle étatiques de la société urbaine qui se transforme rapidement. Il est évident que l’État, par l’entremise de cette institution, astreint la population à se conformer à un modèle de société dont il fait la promotion. « Entre surveillance et protection, confiance et défiance, elle prolonge et renouvelle l’exercice de contrôle social sur les citadins, et canalise subtilement tout embryon d’action collective. » L’étude de ces centres nerveux citadins nous permet de transposer les éléments de transition qui s’opère actuellement dans ces quartiers vers une genèse de réformes qui seraient prochainement initiées par l’État central pour assurer un contrôle futur sur ces populations qui cherchent de plus en plus à s’émanciper. Par leur présence sur le terrain, les comités de résidents bénéficient d’une sociabilité assez grande pour encourager une coopération presque entière des habitants. L’État réussit donc, par l’entremise de cette institution hybride souple qui s’est rapidement adaptée aux nouvelles exigences de la société chinoise contemporaine, à tisser des liens avec une société de plus en plus pluraliste et éclatée et à maintenir en place une légitimité de plus en plus ébranlée. Par l’entremise de ces comités qui s’adaptent au territoire, aux besoins de la population et qui proposent une nouvelle sociabilité en réponse aux défis actuels de la société chinoise, l’État maintient son contrôle et bénéficie de cette proximité pour bien prendre le pouls de la population. Mais pour combien de temps encore ? Seul l’avenir nous le dira…

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